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F. Struensees Mémoire om Kongens Tilstand

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J. F. Struensees Mémoire om Kongens Tilstand

1391.

Mémoire du Comte Struensee sur la situation du Roi.

Ce n’est pas pour faire l’apologie de ma conduite ou de me justifier, que j’ai désiré de donner des éclaircisse- mens sur ce qui s’est passé et que j’ai observé pendant mon séjour auprès de la personne du Roi; c’est uniquement dans la persuasion que la connoissance en pourroitdevenir utile dans la suite et prévenir des desordres et des mal­ heurs. Je n’ai pas balancé de rompre le silence étant convaincu, que les personnes qui prendront connoissance de ce mémoire, n’en feront pas un autre usage que celui qui est conforme et qui aboutit au vrai bonheur du Roi.

L’attachement que j’ai d’ailleurs voué à S. M. et qui ne finira qu’avec ma vie, quoiqu’il est devenu la cause de mon malheur, m’avoit d’ailleurs fait prendre la resolution d’en garder le secrêt même à mes dépends. Dès mon arrivée à Schlesvig auprès du Roi, et S. M. ayant pris goût de s’entretenir souvent avec moi en particulier, je m’aperçu de beaucoup de singularité dans son esprit et caractère, d’un grand éloignement de méfiance et même de mépris pour tous ceux qui l’environnait et surtout d’un grand fond de mécontentement de sa situation. Il avoit des idées outrées sur differents objets, qu’il chérissait à un tel point qu’il se facha, si on y contredisoit ou en marquait seulement de doute. Il pretendoit que le vrai courage exigait de ne rien craindre, et qu’un homme courageux devoit se jetter en bas d’un troisième étage sans balancer, des que la fantaisie lui en prenoit ou que l’on le lui ordonnoit; qu’un homme qui craignoit de s’affliger lui même avec les plus cruelles martyres n’y sauroit pas prétendre. Il exigea qu’un homme savant sache presqu’au moindre fait de l’histoire et de la cronologie, et que tous

1 Efter Afskriften i Johan Bûlows Afskrifter vedk. Struensee-Pro- cessen, 87 IX d.

les faits et actions d’un homme célébré, sans en excepter la plus petite, soient connu de tout le monde. Il esperoit de trouver les moyens de se livrer à tous les excès de débauche sans en resentir la moindre mauvaise suite. Bréf il en avoit plusieurs autres non moins extravagants que je ne repète pas, pour ne point devenir trop diffu. Si je m’efforçoit d’en démontrer la fausseté et même l’absurdité, S. M. me répondit, qu’Elle etoit bien persuadée de la vérité de ces idées mais que l’on la lui cachait et que je pour-rois l’en éclaircir, si je voulois; que le monde soit tout autre qu’on le lui présentoit et qu’Elle savoit des secrets et des mystères dont Elle n’osoit pas me parler. Je le pris souvent pour un badinage, mais le Roy y joignit d’autres idées pas moins extraordinaires, qui m’exiterent autant d’attention que de surprise. Il me demanda souvent, si je croyois qu’Il etoit né pour être Roi?, s’il le resteroit tou­ jours et s’il etoit né de la famille royale de Danemarc? Il se facha ou se moqua, si je lui repondois affirmativement et que je lui trouvois de ressemblance avec Chrétien VI.

Il merépéta souvent qu’Il seroitmalheureux tant qu’Il seroit Roi et à Anvers 11 me proposa très serieusementde m’enfuir avec lui. Il vouloit se fairesoldat pour ne devoir à personne sa fortune qu’a lui seul. Je trouvois en même tems le Roi rempli de peur et de crainte que l’on vouloit l’assassiner, et II m’ordonna souvent le soir quand II etoit couché, d’examiner soigneusement tous les coins de sa chambre, pour voir s’il n’y ait pas caché un homme. Il se défiait de tous ceux qui l’approchèrent, les crutfourbes et toujours occupés à le tromper ou du moins à lui cacher la vérité, laquelle il tachoit de tirer d’eux par la finesse ou par la surprise, les seuls moyens qui lui restoient, selon son opi­ nion, pour l’apprendre. Le Roi me demanda souvent une consolation contre la mort, et II prétendoit qu’il en existoit une outre celle que la religion et la philosophie en fournit, et II m’accusa de reserve si je lui assurois de n’en savoir d’autres. Il espera de l’apprendre avec le tems parcequ’il etoit sur, que d’autres personnes en etoit instruits, qui n’osoient pas encore l’en faire part.

Tout ceci me dérouta souvent et je n’en pouvois trouver aucune explication, si non que ce fut l’égarement d’une imagination trop vive. Je detournois autant que je pouvois la conversation des objets qui supposoient des secrets pour n’en apprendre que ce que le Roi m’en disoit de son propre mouvement. Cette reserve m’attira souvent de froideur et d’éloignement de la part de S. M. Cependant je n’en fut éclairci au fond qu’après le retour du Roi à Copenhague.

Depuis ce moment II m’en parla sans reserve et II s’occupa presque de rien dans sa retroite que de penser et parler de ces mystères.

Voici ce que j’en puis dire pour en faire un tableau général autant qu’il est possible de réduire sur de certains points des idées et des opinions qui par leur nature ne peuvent pas avoir de suite et qui furent encore changé chaque sémaine et chaque jour. Le fond de tout ceci rouloit principalement sur les points suivants: Le Roi s’imaginoit, que le monde soit tout autrement fait que comme on le lui depeignoit; que tout ce qu’il voyoit soit illusion; que les hommes soyent mieux faits, plus grands plus forts et robustes, les plaisirs plus amusants, les spec­

tacles plus supérieurs, que tout ce qu’il en sentoit ou qui lui paraisoit de tous ces objets; quil y ait un nombre de six personnes dans le monde nées aveugles moralement qui voyoient les objets autrement dans la nature ou pour lesquels on les changait pour leur imposer et il se croyoit un de ces six; que Lui, le Roi, ne soit pas fils de Frédéric 5.

et que sa naissance soit un mystère; qu’Il ne resteroit pas toujours Roi et qu’il en seroit tiré par le secours d’autres personnes ou par lui même, en faisant des actions qui soyent conforme à ce but; qu’il y ait un point (lequel S. M. appelloit ausgeàrgert werden) auquel il devoit s’avancer par dégrés, dont le nombre varioit souvent; que tout le monde tachoit de l’empecher d’y parvenir et par consé­ quent de devenir heureux.

Ces points furent le fond des fantaisies qui travaillèrent continuellement l’esprit du Roi et qu’il modifia, changea et augmenta d’un tems à d’autre par des imaginations et

fantaisies les plusextraordinaires et les plus bizares. J’avois donné à l’assemblage de toutes ces fictions le nom de Roman et S. M. le désigna de même, si Elle étoit de bonne humeur sans cependant douter un moment de sa véracité.

Le Roi m’a souvent assuré, qu’il a eu des idées pareilles depuis sa sixième année et qu’Elle ne les devoit qu’a ses spéculations. Il pretendoit de les avoir puissé dans ses propres observations, ayant vu quelquefois les objets sous une toute autre face, mais que l’on s’etoit tout de suite efforcé de le lui cacher et de lui en donner d’autres expli­

cations pour le depaiser. Selon cette observation II avoit vu les hommes plus grands, les soldats mieux dressés, le spectacle plus beau, des hommes avec un éclat extraordi­ naire, des genies supérieurs et en un mot tout infiniment plus parfait, que ce qu’il voyoit ordinairement. Cependant ces visions n’ont été que très momentanées.

La dignité de Roi etoit ce qui le pesoit le plus et la pensée de la garder pendant toute la vie le tourmentoit toujours. C’est pourquoi il croyoit s’être aperçu par la façon dont il étoit élevé et par d’autres remarques qu’il avoit fait, qu’il n’étoit pas né Prince. Cette persuasion, qui est profondément gravée dans son esprit, exerçoit con­

tinuellement son imagination. La première idée qu’Il m’en a communiqué, c’etoit que la Reine sa mere avoit eu une galanterie avec un Mylord Stanhope et que Lui, le Roi, en étoit le fils. Puis il a souvent changé d’opinions la dessus. Quelquefois il se crut enfant trouvé que l’on avoit changé contre le vrai prince, dont il n’étoit pas bien assuré s'il vivoit encore ou s’il etoit mort. Puis il s’imagina d’être fils du Roi de Sardaigne ou d’un conseiller du par­

lement qu’Il avoit vu en France, ou de l’Imperatrice de Russie et à la fin même pendant quelque tems, que la Reine son épousé etoit sa mère. Le Roi ne comprenoit pas de quelle façon on l’avoit mis à la place où II se trouva et II en exerça souvent son imagination; mais en general II étoit convaincu que cette supercherie avoit été necessaire pour le fixer du nombre des six aveugles et qu’elle avoit été opéré par ses amis, lesquel il ne

connois-soit pas pourtant, sur lesquels il varioit souvent et au nombre de qui il mettoient ordinairement ceux qu’Il favorisoit le plus dans ce moment et quelquefois des per­ sonnes qu’Il n’avoit vu qu’une fois dans sa vie, p. ex. le Prince de Ligne à Bruxelles, un certain Comte de Bussi et le Chevalier de Bouliers à Paris.

Les actions par lesquels le Roi se persuada de pouvoir avancer au point, que S. M. desiroit, c’étoient celles qui sont diamétralement opposées à ce qui est vertu, honneur, deceance et bonnes moeurs. Il s’imagina que l’estime, l’amitié, l’amour, le respect que l’on gagnoit par une bonne conduite en detournoit, et II étoit inconsolable s’il en recevoit des marques, ce qu’il appelloit: dass man Ihn geärgert, le prenant pour un moyen de Le détourner de son but. S. M. avoit surtout ce grief contre feu la Reine, sa grand mère quand Elle Lui parla de son amilié pour Lui. Les hommes auquels on marquoit le plus de mépris et que l’on traitoit avec indignation, etoient selon lui les plus heureux et II attendoit avec impatience le moment ou il pourroit inspirer des sentimens capables de lui attirer un tel traitement. C’est pourquoi il nourissoit toujours un penchant très fort de se livrer à tous les exces de débauché et de libertinage, de courir dans les rues pour casser les fenêtres, insulter et même tuer les passants, frequenter les mauvaises maisons, se battre avec les guets, de s’associer avec les personnes réputés les plus méchants, et d executer tout ce que l’homme le plus pervert peut imaginer. Des duels, des combats et même des batailles ne lui paraissait pas moins necessaires pour parvenir à son but et II s’imagina pendant quelque tems qu’il en livroit pendant la nuit et qu’il avoit tué quelquefois cinq, six ou plusieurs personnes, mais que l’on lui donnoit après de l’opium pour en perdre le souvenir parcequ’il n’osoit pas encore le savoir.

Il s’imposa dans la même vue differentes exercises penibles du corps, par exemple: de sauter jusqu’à perdre toutes les forces; de se donner de violents coups sur la tête; de frapper les mains contre la muraille jusqu’au sang;

de se pincer ou forcer un autre de le faire de toutes ses forces. S. M. disoit alors qu’Elle sentoit que cela lui fesoit du bien et qu’Elle en avançoit. Il y avoit encore un teins que le Roi s’imagina que les frictions avec de certains moyens lui feroit du bien et II en composa de tout ce qu’Il trouva sous les mains: de la pomade, des oeufs, de la poudre et des choses pareilles; Il s’en frotta les temples et successivement tous les autres parties du corps. Quelquefois II se frotta avec de la neige ou il se tena un monceau de glace sur l’estomac; une autre fois II s’est mis même de la poudre sur l’estomac et y mis le feu en se brûlant toute la peau. Il me seroit impossible de

me rappeller les differentes scenes et actions extraordinaires que l’imagination du Roi produisoient. C’étoit un conflict continuel entre lui et ceux qui étoient le plus près de sa personne pour l’en empecher ou dumoins moderer ses entreprises. Cependant depuis plus d’un an on est parvenu de détourner ces essais sur sa personne, et II s’est occupé avec d’autres objets. Le Roi s’imagina differentes façons dont ce point (ce qu’il appella ausgeârgert werden) arrive-roit p. ex. que l’on le meneroit dans une bataille, ou que le conseil viendroit lui declarer l’illégalité de sa naissance, ou qu’un coup de tonnère ou un tremblement de terre lui annonceroit ce moment si désiré; et S. M. l’a attendu constamment chaque jour depuis plusieurs années. Les espérances que le Roi s’en fit n’étoient pas moins singu­

lières que la chose en soi-même. Les principales en furent qu’Il ne seroit plus gêné de rien, qu’Il pourroit faire tout ce qu’Il voudroit, et comme II s’exprimoit: dass Er in allem seinen verkehrten und canaillôsen Willen bekommen wùrde; que personne ne se soucieroit plus de lui, lui temoigneroit du respect ou lui feroit des complimens (ce qu’Il appella Ihm angelegen machen); qu’Il partiroit tout de suite de Copenhague et qu’Il verroit alors le monde comme il soit véritablement. S. M. y attacha encore bien d’autres avantages dont je ne citerai que quelquesunes.

Elle éspera de devenir impénétrable aux coups d’epée, de fusil et même de canons, qu’Elle pourroit sauter en bas

d’une hauteur sans danger et même voler si Elle voudroit.

Il y avoit un tems qu’Elle s’attendoit tous les jours, que ses temples, son ventre et toutes les parties de son corps recevroit la dureté du marbre et c’etoit principalement le but des friction.

Un autre fois Elle s’étoit mis en tête qu’Elle n’auroit plus de nombril et ne vouloit pas croire, que les hommes en général en ayent, quoiqu’Elle en fit des recherches qui lui auroit pu convaincre.

Le désir de devenir analogue à une certaine espèce d’hommes que le Roi désigna du nom de Comme-ça étoit ce qui l’occupa le plus dans la derniere année. Il seroit difficile d’en donner une idée bien claire, car pour la plus part je n’en comprenois rien, quoique j’avois beaucoup étudié la marche de son imagination. Il chercha ces hom­ mes entre les comédiens, les acteurs d’opera, les soldats, les matelots, le peuple et surtout entreles drabants. Depuis l’enterrement de feu la Reine Grandmère, qui fitune grande impression sur son imagination, Il s’est principalement arrêté à la dernière classe, étant fortement persuadé de s’étre aperçu à cette occasion de plusieurs hommes comme il en chercha. Cependant il en retrouva partout, au theatre, à la cour et dans les rues, car c’étoit une de leurs qualités principales de pouvoir changer de forme autant qu’ils voudroient.

Les fantaisies ne quittèrent presque jamais l’esprit du Roi, et II y rapporta tout ce qu’il voyoit, lisoit ou enten- doit. Il passa des nuits entières pour y penser et II en parla deux trois heures de suite, si on vouloit seulement l’ecouter. Il a souvent répondu aux instances de ceux qui étoient autour de lui: de les oublier ou de n’en point parler pour quelque tems, que cela faisoit son unique bonheur, qu’il se tueroit plutôt que de se persuader de la fausseté de ses idées et qu’Il en parleroit avec le premier qu’Il rencontreroit, si l’on ne le voudroit pas écouter.

L’humeur et la disposition ducorpsavoit beaucoup d’in­

fluence sur ses fantaisies. Quand le Roi s’étoitaffaibli par une mauvaise habitude, à la quelle il se livre souvent, il avoit

des idées tristes: qu’il mouriroit, qu’il seroit assassiné ou qu’il echoueroit, ce qu’il appelloit, qu’il ne reussiroit pas dans ses desseins, ou dass Er nicht durchkommen würde.

Dans un autre tems il sentoit de fortes inquiétudes, alors il brisa tout, il parla de courir dans le chateau pour tuer lepremier qu’Il rencontreroit, il prenoit desenvies d’insulter, de cracher au visage, de donner des souflets ou de jeter à la tête de ceux qui étoient avec lui des assiettes ou des couteaux. S. M. a avoué Elle-même que ce paroxisme la surprenoit quelquefois à table et qu’Elle soit obligé de se lever brusquement, si la Reine ou un autre par des signes ne la pouvoit pas remettre dans une assiette tranquille.

Le Roi se choqua très facilement d’une physionomie, de la figure ou de la grimace d’un homme, ce qui arriva ordi­ nairement à table ou à la comédie et irrita S. M. à un tel point, qu’Elle commença de jurer, de dire des gros mots et de prononcer mille extravagances, ce qui se fit quelque fois assés haut, que ceux qui étoient le plus près, pouvoient l’entendre, et II embrassa souvent la Reine, qui s’efforça de tranquilliser le Roi par des signes ou par des paroles.

Si le Roi se trouva de bonne humeur II souffra que l’on plaisanta sur ses reveries, cependant c’etoit toujours un sujet très délicat qui l’irrita facilement.

On pourra présentement, après ce queje viens d’expli­

quer, se former une idée du caractère du Roi, dont surtout soufroit ceux qui l’approchèrent particulièrement. Il se força soi-même et peutètre contre sonnaturel d’êtreméchant;

Il ne vouloit pas être aimé et II se facha, si quelqu’un lui marqua de l’attachement ou de l’attention, parceque cela le faisoit, à ce qu’Il disoit, angelegen. J’ai vu qu’Il a rossé son friseur par ce que celui-ci le soutenoit dans le moment qu’Il risqua de tomber à la renverse; le Roi poussa ceci si loin qu’Il prétendoit que l’on ne le devoit secourir, même s’il étoit en danger de se casser le cou. Cependant Il en est revenu dans le dernier tems, il a avoué qu’Il avoit besoin de secours et d’amis, se sentant trop faible pour s’aider seul dans toutes les occasions. Son plus grand plaisir étoit de brouiller ceux qui étoient auprès de lui, et

Il disoit à chaqu’un en particulier du mal, qu’Il prétendoit que l’autre avoit dit ou lui avoit inspiré, comme II s’ex­ prima, parcequ’Il etoit de l’opinion, que l’on pouvoit lui inspirer des idées et des sentimens. Il changea souvent d’objet de confiance, mais II revenoit également et c’étoit toujours au dépend de celui, qu’Il quitta, qu’Il vouloit faire la paix. Comme cette conduitte occasionna des

Il disoit à chaqu’un en particulier du mal, qu’Il prétendoit que l’autre avoit dit ou lui avoit inspiré, comme II s’ex­ prima, parcequ’Il etoit de l’opinion, que l’on pouvoit lui inspirer des idées et des sentimens. Il changea souvent d’objet de confiance, mais II revenoit également et c’étoit toujours au dépend de celui, qu’Il quitta, qu’Il vouloit faire la paix. Comme cette conduitte occasionna des